Une troisième mi-temps mémorable à Oberlauterbach publié le 14 octobre 2008
Patrick Wiesen évoque une troisième mi-temps mémorable à Oberlauterbach dans son interview aux DNA du 14 octobre 2008.

« Au service du jeu » Près d'un millier d'arbitres sont actuellement à l'oeuvre en Ligue d'Alsace. Ils sont débutants, chevronnés, sévères, indulgents, rapides et lents. Parmi eux, Patrick Wiesen qui s'est emparé du sifflet à la suite d'un arrêt prématuré de sa carrière de joueur.

Quand l'automne se pose autour de Bergbieten, le résultat est spectaculaire. Les vignes, qui bordent le stade du... vignoble sont éclatantes. Plus loin, les bois ne sont pas en reste et même le maïs s'y est mis. « Je n'ai pas de tenue assortie aux couleurs des feuilles, plaisante Patrick Wiesen, bientôt 37 ans, qui se prépare à arbitrer le choc (et le derby) du groupe D de Promotion entre Bergbieten et Molsheim, dimanche dernier. J'évite de mettre du jaune qui me gonfle. Aujourd'hui, ce sera du bleu. » L'an prochain, Patrick Wiesen (qui siffle pour l'AS Hatten) fêtera ses vingt années d'arbitrage. Cet habit, il l'a revêtu dans sa Lorraine natale après une carrière sportive qui s'est arrêtée chez les juniors.

« Je n'aimais pas les arbitres »

« Quand j'étais joueur, j'étais assez teigneux et râleur, se souvient-il. Et je n'aimais pas les arbitres ! Un jour, sans savoir qui il était, j'ai eu une altercation avec l'entraîneur de l'équipe I de Merlebach. Mon président m'a mis à pied et, à mon retour, m'a fait bien comprendre qu'il ne me voulait plus ! » Dégoûté, le jeune Patrick déserte le foot pendant un an. C'est un ami, Laurent Mican, qui le remet en selle et le persuade de se lancer dans l'arbitrage. « Il a réussi à me motiver et je m'y suis mis. Je me rappelle avoir raté l'examen de base la première fois...Puis, ça s'est arrangé. » Il passe les différentes étapes pour, lors de son arrivée en Alsace, continuer à être arbitre central de DH et assistant en CFA/CFA 2. Aujourd'hui, sa carrière est derrière lui. Le regret, c'est de n'avoir pas réussi l'examen d'arbitre fédéral. Pour le voir en action, il faut chercher entre l'Excellence et la Promotion. Le match de Bergbieten en est l'exemple type.

Le réveil musculaire... au marché aux puces

Ce jour-là, le rituel a été respecté. Le dimanche matin, priorité à la famille. « Souvent, on va faire les marchés aux puces ensemble. Ça fait office de réveil musculaire ! ». Place ensuite à la préparation du sac avant l'arrivée au stade une heure avant et en tenue de gala, s'il vous plaît. « Une fois, j'avais oublié mes chaussures. Et mon sifflet aussi... Je ne viens jamais en jogging, sourit-il. Par contre, je porte un costume car l'apparence est importante. En DH, le port de la cravate était recommandé. Une première bonne impression, il n'y en a qu'une ! Les dirigeants des clubs y sont sensibles. Dans les évaluations d'arbitre, l'attitude et la personnalité sont de plus en plus importants. » L'avant-match peut démarrer. Ce dimanche, ses assistants sont Claude Le Dem (Mutzig) et Sezai Sati (Obernai). « Il faut que nous formions un trio cohérent. Il m'est déjà arrivé d'avoir des gars à côté de la plaque. Et ça, les joueurs le sentent. Inversement, j'ai souvent été très bien aidé par mes assistants. Et je pense toujours à mes collègues qui, de la D1 à la D3, sont seuls. Je leur tire un grand coup de chapeau. »

« Le supporter de base qui te hurle dessus, tu l'ignores... »

A Bergbieten, malgré un public très proche de la ligne de touche, tout se passe bien hormis les quolibets habituels qui jaillissent des bords du terrain. « Je connais toujours le contexte et l'enjeu du match. Et j'adore quand il y a du public et de la pression, explique Patrick Wiesen. Souvent, je fais exprès de longer la main courante. Le supporter de base qui te hurle dessus, tu l'ignores. Et s'il faut séparer des joueurs, j'y vais. Je n'hésite pas. J'ai connu peu de sorties de terrain houleuses. » Il faut dire que son gabarit, proche d'une première ligne de rugby d'avant le professionnalisme, en impose. En plus, il a ce qu'on appelle « une bonne bouille » assortie d'une aisance vocale. « Parler ? Je ne fais que ça sur un terrain. Avec moi, c'est du dialogue permanent. Je note les noms de tous les joueurs et je les appelle en leur donnant du ''Monsieur''. C'est une marque de respect et ça personnalise la relation. » Souvent, les conversations se poursuivent au club-house après la rencontre et les lundis au travail. « Si la discussion s'anime à mon sujet, je reste, raconte-t-il. Une fois seulement, à Gundershoffen, je suis parti directement. Le lendemain au boulot (*), je rencontre beaucoup de footballeurs. Même parfois des joueurs que j'ai arbitrés la veille. » Ou alors des anciens de DH comme Ludovic Humbert et Isidro Oliva, aujourd'hui à Bergbieten et qui viennent saluer Patrick Wiesen après le match. « On connaît bien les joueurs, continue notre homme en noir. Surtout les râleurs, les simulateurs ou ceux qui aboient sans mordre. Nous n'avons aucune consigne pour coincer un joueur. Nous sommes d'abord et uniquement au service du jeu. »

« Un arbitre ne doit pas être un envahisseur »

Les bons arbitres, selon Patrick Wiesen, doivent réussir à « passer inaperçus tout en étant présents ». Un fragile numéro d'équilibriste pas fait pour les timides ou les revanchards. « Il faut avoir du caractère mais dans le bon sens du terme, précise-t-il. Un arbitre ne doit pas être un envahisseur. Ce qui me plaît, c'est le fait de faire du management : gérer 22 bonshommes et les bancs de touche, prendre des décisions importantes. Faire preuve d'autorité et de psychologie. Ça m'apporte beaucoup pour mon travail. » Malgré toute cette expérience, aucun arbitre n'est à l'abri d'un match raté, pénible ou franchement épouvantable. Patrick Wiesen a connu de tels moments : « Il y a ce Mutzig - Fegersheim (le 1er novembre 2006) où Paolo Mendes est décédé pendant le match, se souvient-il, la voix grave. Ce match entre les Écrivains et Weyersheim que j'ai terminé lessivé mentalement ou bien ce récent Ittenheim - Elsau Portugais où j'ai donné le carton rouge le plus rapide de ma carrière (à la 5e). » Ou alors, dans un registre moins grave, cette chute en pleine action sur le terrain mouillé de Reipertswiller. Ou la présence de jumeaux sous le même maillot. Et puis, il y a ces matches ratés à cause d'une décision injuste ou carrément une ''boulette''. « Ah oui, il m'arrive de me planter. je me souviens d'une 2e mi-temps à Wolfisheim où je me loupe à cause d'une embrouille sur un changement de joueur. Je l'ai ruminée longtemps ! Et j'ai mal dormi après... Un bon match, c'est quand les décisions n'ont pas d'influence sur le score. Un arbitre ne doit pas être malhonnête. »

« Après le but de Gourcuff, j'ai sauté dans mon canapé ! »

Heureusement, les bons souvenirs sont majoritaires. A commencer par toutes ces rencontres faites à force de quadriller la région. Assister Éric Poulat (dont il est un ami) à la touche sur un Racing - Jablonec (21 juillet 2005), arbitrer le fameux Raedersheim - FCM de Coupe de France devant un millier de spectateurs (21 novembre 2000), une 3e mi-temps mémorable à Oberlauterbach, le dévouement du président de l'UST Bischwiller, autant de moments forts de ces bientôt vingt années d'arbitrage. Du côté des contraintes, ce sont les stages de recyclage, le test de Cooper (pas celui d'entrer dans son pantalon mais de courir la plus grande distance en un temps donné) et la nécessité d'avoir une forme physique satisfaisante. « Se préparer en regardant la Ligue des Champions ou l'équipe de France ne me sert à rien, affirme-t-il. Bien sûr, j'observe l'arbitre d'un oeil intéressé. Je reste d'abord un fan de foot : après le but de Gourcuff, j'ai sauté dans mon canapé ! » « Je n'ai mis aucun carton, je vais bien dormir ! » Pas de canapé ce dimanche à Bergbieten où le derby, correct, a été dirigé dans un fauteuil par Patrick Wiesen. Sur cette rencontre, son indemnité d'arbitrage est de 70 € (7,50 € + les kilomètres). « Personne n'a râlé, se réjouit notre homme. Je n'ai mis aucun carton. Je vais bien dormir ! » Esther, son épouse, appréciera. Avant la naissance de leur premier enfant, elle l'accompagnait sur les matches avec un oeil critique. « Elle avait des notions d'arbitrage et un jour, elle m'a dit que je ne courrais pas assez à reculons. Ça m'avait estomaqué ! » Son père a été tout aussi présent. Il a été « mon premier fan » qui est resté à ses côtés lors de ses premiers pas comme arbitre. Un peu juste sur la règle du hors-jeu, il a été un fidèle soutien. « Je lui en suis reconnaissant. Cela nous a beaucoup rapprochés. » « Arbitrer, c'est une passion, conclut-il. Je prend du plaisir, je vois les choses différemment. Je ne pourrais pas être entraîneur ou président. Moi, c'est l'arbitrage. Et il faut encourager les jeunes à s'y lancer même si c'est de plus en plus dur. Sans arbitre, il n'y a pas de football. »
Christophe Schnepp DNA
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